Mai 68 : les Saint-Briciens se souviennent

Publié le 08 mai 2018 - Mis à jour le 17 août 2019
Des barricades et des pavés à Paris, des milliers de personnes dans les rues, une France paralysée, la plus grande grève de son Histoire. Mai 68 a marqué une rupture. Des Saint-Briciens témoignent de leur vécu.
Michèle Cuzin témoigne pour son défunt mari Daniel
En mai 68, Daniel Cuzin avait vingt-six ans. Il exerçait le métier de traceur en chaudronnerie. Comme beaucoup d’ouvriers, il a occupé son usine. Cinq semaines d’affilée pour ne rentrer chez lui qu’à trois reprises. Le couple, qui était sur le point de se marier, a dû attendre le mois de juillet pour se dire « oui » au terme du mouvement.
Ce qui a marqué Michèle Cuzin, c’est l’utilisation de ce temps si particulier, comme par exemple les réunions qui permettaient de réfléchir aux revendications, de s’exprimer, d’écrire, de penser, sans oublier l’entretien des machines. « Mon Daniel disait que l’outil de travail est ce qu’il y a de plus précieux pour l’ouvrier. Chacun a donc dépoussiéré, graissé : en un mot protégé sa machine. Aucun saccage, bien au contraire » raconte avec émotion Michèle. Puis, il y a eu les manifestations où Daniel a été plusieurs fois choisi pour faire partie du service d’ordre car il était connu pour son calme. Le but était d’éviter l’infiltration des anarchistes. Avant mai 68, l’ancien chaudronnier était déjà engagé syndicalement. Il distribuait la presse spécialisée cachée dans son bleu de travail. Avec le mouvement, ce fut la reconnaissance des sections syndicales.
Michèle Cuzin se rappelle : « Ce dont je me souviens aussi, c’est qu’en tant que délégué du personnel, il disait : « Je respecte l’individu que j’ai en face de moi. Ce que je combats, c’est sa fonction lorsqu’elle est abusivement exercée. »
Ce qui a le plus contrarié Daniel pendant cette lutte, c’est que tous les salariés en grève dans son usine ont été d’accord pour demander une augmentation de 50 francs pour tous, du contre-maître au manœuvre. Le mari de Michèle gagnait 800 francs par mois. En 1968 le salaire moyen était de 1 000 francs (chiffre INSEE) soit environ 150 euros. Après négociation, seule l’augmentation en pourcentage fut retenue, vite absorbée en quelques semaines par la monté des prix.
Avant les événements de mai 68, je travaillais chez Citroën, avec un règlement intérieur qui mentionnait qu’il était interdit de parler, de chanter, de siffler et de rire pendant les temps de travail et qu’il fallait lever le doigt pour demander la permission d’aller aux toilettes ! Tout ceci a disparu après mai 68.
Frédéric Fourniaud, de la curiosité pour s’informer
En mai 68, Frédéric rentrait de son service national. Vivant à Paris, il se rendait dans les manifestations pour s’informer. Pour suivre réellement ce qui se passait, il fallait être sur place. « Un provincial sortit du métro parisien au boulevard Saint-Germain, il resta médusé en voyant les affrontements. Je lui dis qu’il était normal que la télé n’en parlait pas car les médias étaient à la botte du gouvernement... C’était encore l’ORTF (NDLR : Office de radiodiffusion-télévision française). » raconte Frédéric.
Il fréquentait aussi la Sorbonne pour écouter ce qui se racontait. Il y avait des pièces de théâtre à dormir debout. « Il fallait tout révolutionner ! Les assemblées générales à l’Odéon n’en finis saient plus » rajoute-il. Un soir, dans le quartier Saint-André-des-Arts, les étudiants fuyaient les grenades des CRS et se sont cachés dans un commissariat de police avec la complicité des policiers. Frédéric n’a jamais été convaincu du bien-fondé des manifestations. Selon lui, les évènements étaient menés par des fascistes. Beaucoup devenaient fous dans cette effervescence. Il se souvient avoir retenu un jeune qui voulait mettre le feu à une station-service. « Je n’ai jamais eu peur dans cette violence, car les gens étaient euphoriques sur les barricades » confit-il.
Depuis les événements, Frédéric s’est mis à son compte en tant qu’imprimeur. Mai 68 a changé sa façon de penser et de relativiser.
Les événements de Mai 1968 résumés en 3 minutes, par le journal Le Monde
Jacques Schmitt, l’étudiant de la rue d’Assas
Parisien et à la veille de sa majorité (vingt et un ans), Jacques était un privilégié parce qu’il était étudiant en première année de Sciences Éco à la faculté de la rue d’Assas. « À l’époque, il n’y avait pas autant de facultés qu’aujourd’hui », explique-t-il.
Fin avril, en cours de droit constitutionnel, une clameur se fit entendre dans le hall d’entrée. Intrigué, Jacques se rendit sur place : coups de klaxons, rue embouteillée en matinée, « une scène assez cocasse avec cette colonne de vieux cars de CRS, bloquée face à nous, fenêtres ouvertes à cause de la température. Des distributeurs de tracts de tous bords se sont mis alors à distribuer leurs propagandes à des CRS plutôt amusés d'obtenir de la lecture ! » se remémore l’ancien étudiant.
Quelques jours plus tard, lors d’une soirée dans le quartier latin… Des ponts sur la Seine barrés par des véhicules de la police, une foule impressionnante. Des manifestants lançaient des pavés, extraits de la chaussée. « Brusquement, les forces de police ont chargé. La foule s’échappa dans les rues adjacentes. Je me retrouvais alors avec d’autres manifestants, au milieu de bombes lacrymogènes, destinées à nous faire déguerpir sans attendre » explique Jacques.
Fin mai, il décida d’aller au meeting de Charlety écouter quelques ténors de la politique. Parmi eux, un certain François Mitterrand. Il se disait prêt à diriger une France en train de vaciller qui eut pour effet de créer une immense clameur de réprobation et des sifflets à n’en plus finir. Trois jours plus tard, la situation basculait : une foule immense se rassemblait et défilait sur les Champs-Élysées pour apporter son soutien à De Gaulle.
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