Cinéma : Alain Gomet, collectionneur acharné reconnu dans le monde entier

Publié le 31 mai 2019 - Mis à jour le 31 mai 2019
Alors que le Festival de Cannes vient de se terminer, la rédaction donne un coup de projecteur sur Alain Gomet, expert en patrimoine cinématographique. Ce Saint-Bricien nous a ouvert les portes de son atelier, un véritable musée du cinéma !
Alain Gomet est un homme discret, installé à Saint-Brice-sous-Forêt depuis plus de quarante ans. Expert en patrimoine cinématographique, ce septuagénaire va raccrocher sa veste dans les prochaines semaines. C’est peut-être pour cette raison qu’il s’est laissé convaincre et a décidé de nous ouvrir la porte pour retracer l’ensemble de sa carrière.
Son atelier est un véritable musée dédié au cinéma. On découvre une affiche où Sophia Loren nous fait de l’œil, une vieille caméra ayant appartenu au réalisateur Jean-Jacques Annaud, des bobines de films par centaines ou encore, dans un style plus particulier, la peau d’une lionne ayant servi sur différents tournages de films…
« Il me semble que je suis un des seuls en France, en Europe et même dans le monde à connaître, de fond en comble, les trois disciplines du patrimoine cinématographique : le document papier (affiches, photos, dossiers de presse, revues, livres…), le document filmique (la pellicule) et le matériel cinématographique. » explique-t-il.
Réelle ou romancée, la vie d’Alain Gomet se parcourt comme un roman toujours à la limite du vraisemblable. Mais comme le dit John Ford, « Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimons la légende ». Retour sur le parcours d’un collectionneur acharné indispensable au cinéma et à sa préservation.
La destruction du Gaumont-Palace : un scandale qui fera naître des vocations de collectionneurs
Il a commencé à travailler, très jeune, comme agent de maîtrise dans les assurances. « J’ai travaillé durant une dizaine d’années dans ce domaine » se souvient Alain Gomet. « Le milieu sédentaire ne me convenait pas du tout. Je me suis alors tourné vers le cinéma. En effet, je suis un cinéphile depuis mon enfance. J’allais voir les films au cinéma L’Eden à Montmorency dès l’âge de cinq ans... Puis, je suis devenu un assidu de la célèbre salle de cinéma qu’était à l’époque le Gaumont Palace, place de Clichy à Paris ». Le Gaumont-Palace était à l’époque le plus grand cinéma au monde avec ses 6 000 places. Un lieu mythique ! En 1973, ce fut un véritable scandale lorsque le conseil d’administration décida de le détruire pour aller ailleurs.
Le Gaumont-Palace était le siège de la société Gaumont. Quand ils l’ont démoli, toutes les archives se sont retrouvées dans les gravats. La collectionnite aigue de nombreux d’entre-nous est née à ce moment-là. 1973 a été une éclosion incroyable de collectionneurs de cinéma. C’était une année charnière.
Redresseur de cinémas en chute libre
Trois ans plus tard, il dirigea les salles de cinéma d’Enghien-les-Bains : le Français, le Marly et le Hollywood. « Nous avons lancé la mode des rencontres cinéphiliques avec les réalisateurs et les acteurs. Godard, Truffaut, Chabrol… Tous les réalisateurs de l’époque sont passés le mardi soir dans les salles de cinéma à Enghien. On avait une clientèle énorme. En tant que salle indépendante, c’était la plus importante salle de France en termes d’entrées. Les files d’attente faisaient des dizaines de mètres à l’époque ! » En 1981, sa sœur et son beau-frère prennent la relève de la direction des cinémas. En effet, Alain Gomet a été alpagué par un chasseur de tête pour redresser des cinémas en chute libre chez Pathé. « À Enghien-les-Bains, j’avais rendu le cinéma très compétitif, avec une gestion saine et très moderne. À titre d’exemple, quand je suis arrivé chez Pathé, les huit salles atteignaient péniblement 500 000 entrées. Quand je suis parti, je faisais 1,3 million. »
« S’il n’y avait pas de popcorn, il n’y aurait pas de cinéma »
Il faut noter aussi qu’Alain Gomet est à l’origine de la suppression du statut de l’inoubliable ouvreuse de cinéma qui vendaient dans la salle des cornets de glace, paquets de cigarettes et compagnie. « Les 80 ouvreuses venaient se plaindre qu’elles n’atteignaient pas le SMIC. C’était invérifiable car elles étaient payées au pourboire. » Il a ainsi transformé le statut d’ouvreuse en agent d’accueil polyvalent rémunéré avec un salaire. Et il poursuit : « J’ai aussi mis en place les fameux bars de confiseries. S’il n’y avait pas de popcorn, il n’y aurait pas de cinéma… ».
En 1986, il se met à son compte et tient une boutique, à Enghien-les-Bains, d’antiquités phonographiques et cinéma. Un an après, il s’installe aux puces de Clignancourt à Paris. « En réalité, la vente ne m’intéressait pas. Les puces étaient un prétexte pour trouver des produits muséographiques ».
En 1988, à Argenteuil, Alain Gomet participe à la création de la rencontre internationale de collectionneurs cinéma : Les Cinglés du cinéma. Affiches, presse, caméras anciennes, projecteurs, films, cassettes… On y trouve de tout et à tous les prix. De quoi contenter tous les collectionneurs : des professionnels, des amateurs et des représentants de cinémathèques.
Très vite, il quitte les puces de Clignancourt et participe alors à la création du musée Gaumont, à Neuilly-sur-Seine, puis de la fondation Jérôme Seydoux-Pathé, à Paris. Depuis, il fournit ainsi des musées du monde entier. « Je viens récemment de vendre un film de 1905 à la cinémathèque de la Thaïlande et une caméra en Estonie. » Bien avant que l’Institut Lumière existe à Lyon, il essayait de retrouver le patrimoine de la famille Lumière. « Beaucoup de choses de notre patrimoine était parti à l’étranger. Je suis allé racheter ce qu’eux-mêmes avaient acheté en France. Une fois par mois, j’allais à Londres, une fois par trimestre aux États-Unis et ainsi de suite. Je fournissais, en priorité, l’ayant droit, comme les musées de Berlin, du Luxembourg, de Turin, etc. ».
« La rareté, c’est le but essentiel »
Il est devenu ainsi expert en patrimoine cinématographique. Il cherche, découvre, expertise, achète, vend… Sa particularité est qu’il n’achète pas auprès des particuliers. « C’est tellement rare ce que je recherche. J’achète exclusivement des collections très anciennes auprès d’historiens de cinéma ou d’anciens professionnels. J’ai acheté, par exemple, auprès des descendants de la famille Lumière, ou bien une partie de la collection d’Abel Gance à la cinéaste Nelly Kaplan. Le niveau de ce que j’ai eu entre les mains est colossal. Mon but est de trouver des choses d’un niveau muséographique, qu’on connait sur le papier mais qu’on n’a jamais vu. La rareté, c’est le but essentiel. Même si je vais cesser bientôt mon activité, je garderai en moi cette faculté de trouver des choses rarissimes ».
Sa dernière acquisition dont il n’est pas peu fier : 16 projecteurs de 1896 à 1898, dont deux prototypes inconnus. Soudain, son regard pétille lorsqu’il nous raconte qu’il a trouvé récemment un désiré de 1946. C’était le prix qu’on remettait avant la palme d’or au festival de Cannes.
Très connu dans le milieu des collectionneurs, certains réalisateurs lui cèdent régulièrement des archives. À l’instar de Jean-Pierre Rawson. Ce dernier lui a légué la fameuse peau de lionne qui a servi, entre autres, sur ses films Gros-Câlin, Comédie d’amour et Les fleurs du mal.
D’autres réalisateurs tels que Jean-Jacques Annaud, Michel Hazanavicius ou encore Jean-Pierre Jeunet font partie de ces clients. « Annaud est un passionné de technique. Jeunet, quant à lui, c’est un fou de Jacques Prévert et Marcel Carné. »
Un rôle fondamental pour la préservation des films
Depuis le début de sa carrière, Alain Gomet a une idée fixe : l’objet doit retourner là où il doit être, soit à l’ayant droit si c’est un film, soit au musée. Il doit être montré si c’est un film inédit ou exposé si c’est un objet.
Il raconte : « Il y a quarante ans, j’ai trouvé à Marseille, dans une succession, une valise en zinc avec une soixantaine de films à l’intérieur. Il y avait 42 films originaux de Georges Méliès, de 1896 à 1902, que j’ai contribué à sauver et qui peuvent être montrés aujourd’hui. Il y a quelques années, j’ai été nommé expert sur une collection mondiale importante. Il y avait une quarantaine de films Lumière colorisés. Je les ai déposés à la Cinémathèque française et le public peut désormais les voir. »
Et il conclut : « Aujourd’hui, si vous pouvez voir des copies restaurées en bon état, voir des tas de choses dans les musées, notamment à la Cinémathèque française, c’est grâce aux collectionneurs qui ont su récupérer des objets et des documents qui, maintenant, font partie du patrimoine cinématographique mondial. »
Reste à savoir désormais ce que va faire Alain Gomet de tout ce qu’il a entassé depuis toutes ces années dans son atelier. Lui seul détient la réponse.
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