La demeure de l'Escuyer

Publié le 17 février 2020 - Mis à jour le 11 mars 2020

Depuis 1976, cette propriété, au cœur du centre-ville, est inscrite à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques.

Située au 34 rue de Paris, à l’angle des rues Pasteur et Pierre Salvi, cette demeure des XVIIe et XVIIIe siècles s’étend sur plus de 11 000 m². Construit en 1730, son bâtiment principal, rectangulaire, est orienté est-ouest, avec une façade ouest animée par un avant-corps en demi-cercle, orné de deux pilastres. Sur la façade est, pas d’avant-corps mais de hautes fenêtres au premier étage, aux proportions très harmonieuses, et deux perrons donnant sur le parc. Au sud, une aile en équerre, plus ancienne, remaniée au XVIIe siècle, est rattachée au corps de bâtiment. Là se trouvent une grande cuisine et la chapelle, dont l’autel a été restauré par les propriétaires actuels. Une maison de village simple mais harmonieuse, donnant sur la rue de Paris, constitue l’ancien logement de gardien. Un rare potager orné de carreaux de faïence bleue, typique des anciennes cours de la ville, subsiste encore à l'intérieur.

Depuis 1690, de multiples propriétaires d’envergure

Selon les actes notariés, le premier propriétaire de cette demeure telle qu’en l’état a été Nicolas Vincent du Trou, écuyer de la garde-robe du roi et tapissier-brodeur de sa Majesté. Sa famille détint le domaine pendant trois générations, sous Louis XIV et Louis XV : achat en 1690, modifications en 1730, et vente en 1750 à Dame Claude Ruau d’Ancerville. Joseph de Saint-Aubin, agent de change, prit la relève avant d’émigrer en 1789. La propriété fut alors vendue comme bien national et passa, en 1794, aux mains du député Étienne de Rumilly.

En 1800, le comédien Pierre-Antoine Amiel, co-directeur du théâtre Montansier-Variétés, en fit son hôtel d’été, le réparant à neuf : Dabos, peintre de la reine Hortense, orna la salle à manger et le grand salon de peintures et de bas-reliefs ; une jolie salle de bains décorée avec goût remplaça un petit oratoire ; dans le jardin, une laiterie faite en rocaille selon la mode répandue au XVIIIe siècle s’y serait faite remarquer par l’aimable singularité de sa distribution. Nulle trace cependant de ces éléments aujourd’hui.

De même, Amiel avait constitué un cabinet d’œuvres d’art dans le goût de l’époque : tableaux, dessins, estampes de l’école française (Vallin, Hubert Robert, Gorp, Bruandet...), bronzes, marbres et autres objets de curiosité plus que de valeur. Ces détails nous sont connus par leur vente, organisée en 1808 après le décès du comédien pour la liquidation de ses biens et qui se monta à pas moins de 2996,10 francs. Parmi ces objets de décoration, préemptés par un certain comte Rigal, la seule allusion au métier du propriétaire fut une série de bustes d’écrivains en marbre (Voltaire) ou en terre cuite (Corneille, Racine, Molière, La Fontaine). À l’église du village, le comédien offrit des orgues, depuis longtemps remplacées.

Trois guerres éprouvantes

Durant la guerre de 1870, l’armée prussienne réquisitionna la demeure, propriété de la famille Dambricourt depuis 1838. Selon le Journal de l’abbé Salati, prêtre à Saint-Brice, l’un des salons servait de salle de billards et un autre de remise à foin pour les chevaux des officiers ! De façon similaire, pendant la guerre de 1914-1918, la demeure a été transformée en lieu de repos pour les soldats français.

Plusieurs propriétaires se sont ensuite succédé, notamment Louis Arquillère, frère de l’acteur de boulevard Alexandre Arquillière, ou encore le baron de Laage. Ce dernier, qui avait combattu à 18 ans contre les Prussiens en 1870 puis dans les tranchées en 1914-1918, fut le premier président de l’Association des anciens combattants de Saint-Brice, créée à l’issue de la Première Guerre mondiale. Sa fille et son époux, la baronne et le baron de Vaugelas, restèrent propriétaires de la demeure de l’Escuyer jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

C’est à cette époque que le domaine fut vendu en deux parcelles, l’une comprenant des terres potagères, l’autre la demeure. Avant cette division officielle, un passage souterrain traversait la rue des Écoles (rue Pierre Salvi) pour relier ces parcelles.

La propriété d’une même famille pendant 64 ans

De 1945 à 2009, la propriétaire de la demeure et de son parc fut la famille Guinat. Liselotte Cuzzolin, aînée des enfants Guinat, se souvient : « Mon père l’a achetée par hasard. En revenant de l’Oise, où il avait un cabinet de campagne, un panneau "À vendre" a attiré son attention. » Jacques Guinat, chirurgien-dentiste à Paris et professeur à l’École dentaire, y a vu la maison de campagne idéale pour ses cinq enfants.

Les deux guerres mondiales et, avant encore, l’occupation prussienne de 1870 avaient lourdement dégradé la demeure. Il pleuvait à travers le toit... Notre famille a eu énormément à faire pour reprendre les murs et certains planchers, refaire la toiture, restaurer le tout dans l’esprit du lieu. Dans les années 60 et 70, d’abondantes recherches aux Archives nous ont aidés à retracer l’histoire de la propriété, classer le site et contribuer ainsi à protéger le centre historique de notre ville.

Les premiers grands travaux ont été faits entre 1958 et 1962. En1963, la municipalité a souhaité racheter 2 000 m² du terrain pour construire le premier gymnase communal. Jacques Guinat s’y était fermement opposé, concédant néanmoins une longue et large bande au fond du parc pour agrandir le trottoir. Et le gymnase Lionel Terray sera finalement construit de l’autre côté de la rue des Écoles (rue Pierre Salvi, aujourd’hui). Trois ans plus tard, la municipalité envisagea d’autres projets d’urbanisme, poussant la famille Guinat à entamer des démarches auprès des Affaires culturelles pour protéger la propriété, témoin de l’histoire de la ville.

« C’est en 1967 que nous nous y sommes installés à l’année » se remémore Liselotte Cuzzolin. Cette même année, la famille obtient une première victoire : la propriété est inscrite à l’Inventaire des sites pittoresques du département du Val-d’Oise. Puis, elle est classée parmi les sites du département en 1972. En 1976, enfin, ses façades et sa toiture en ardoise sont inscrites à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques. Il convient ici de noter que notre commune compte deux bâtiments classés monuments historiques : l’église, depuis 1964, et le domaine du pavillon Colombe, depuis 1994.

Si la propriété a été préservée de projets d’urbanisme majeurs, elle a toutefois subi de gros dommages lors d’intempéries exceptionnelles : « Les violents orages de 1971 ont décapité cinq arbres et déraciné un cèdre du Liban de presque 300 ans. Le bord du toit a été arraché, une marquise sur la tourelle est tombée… » Trois grandes tranches de travaux, en 1971, 1974 et 1978, ont redressé la situation et offert un second souffle à la bâtisse, surtout avec la réfection totale de la toiture.

L’année du patrimoine a remporté un vif succès

Un souvenir a particulièrement marqué Liselotte Cuzzolin : « L’année du patrimoine, en 1980, nous a infiniment touchés, ma famille et moi. » Par cette initiative inédite du président Valéry Giscard d’Estaing, l’année toute entière a été dédiée au patrimoine. De nombreuses célébrations ont ainsi été organisées partout en France. L’évènement ne s’est jamais reproduit, mais les Journées du patrimoine furent ensuite créées en 1984.

À Saint-Brice – et à Montmorency –, l’association des Vieilles Maisons Françaises avait organisé des visites chez nous et au pavillon Colombe. Plus d’une centaine de personnes avait fait le déplacement, y compris de nombreuses personnalités. Après tous nos efforts pour sauver la demeure, participer à cette fête a été une joie immense. Nous l’avons ressenti comme un merci.

Elle poursuit : « Durant les années 80, nous avons aussi ouvert régulièrement nos portes à l’association Les Amis du vieux Saint-Brice, qui a organisé chez nous ses assemblées générales ainsi que plusieurs évènements culturels, dont en 1987 une matinée poétique, avec les sociétaires de la Comédie française Gisèle Casadesus et Lucien Pascal, natif de notre ville. La même année, une journée mémorable préparée avec l’ambassade des États-Unis en France fut dédiée à l’écrivaine américaine Edith Wharton, à l’occasion du cinquantenaire de sa mort. »

Quelques années après le décès en 1983 de son époux, Jacques, Louise Guinat vint occuper, seule, le premier étage du bâtiment principal. Pour faire vivre la demeure et surtout l’entretenir, elle loua les salons du rez-de-chaussée pour des mariages, journées d’études et autres fêtes familiales… L’essentiel de ces réceptions avait lieu aux beaux jours, de mai à juillet.

En 1992, l’association des Vieilles Maisons Françaises organisa à nouveau (et pour la dernière fois) une visite de la demeure de l’Escuyer.

Au tournant des années 2000, l’effet cumulé de la tempête de 1999 et du décès de Louise Guinat marque une nouvelle étape. Et la famille Guinat passe le témoin : en 2009, la propriété est rachetée et remise à neuf par la famille Védiaud, qui occupe toujours les lieux.

« La maison n’a pas perdu son âme d’origine »

Valérie Védiaud explique : « En premier lieu, notre famille a ravalé entièrement la façade. Nous n’avons rien modifié de l’architecture. Nous avons juste fait abattre des murs intérieurs pour agrandir plusieurs chambres et la salle à manger. La rénovation n’est toujours pas finie, l’aile notamment est en cours de travaux. Il faut du temps. »

Cette maman de six enfants a tenu à faire restaurer les vitraux réalisés par Anno en 1893. « Le restaurateur a malheureusement mal positionné trois plaques ! » regrette-t-elle, mais cette rareté habille aujourd’hui comme avant la salle à manger.

« Ici, on ne jette rien », poursuit-elle. « Nous avons, par exemple, enlevé les tomettes d’une des cuisines pour les poser dans le pavillon de gardien. Dans les salons du rez-de-chaussée, nous avons nettoyé les tapisseries. Ainsi la maison n’a rien perdu de son âme d’origine. Nous avons essayé de tout garder dans son jus.»

Les murs des deux salons sont ornés de grands miroirs d’époque que la famille a fait nettoyer : « Ils donnent un peu le même effet qu’à la galerie des Glaces au château de Versailles. Comme un jeu d’illusion démultiplié à l’infini. »

Afin de protéger le patrimoine arboré du domaine de l’Escuyer, la Ville a inscrit ses arbres en 2013 comme arbres remarquables sur le Plan local d’urbanisme. Elle a également classé tout son parc comme espace paysager protégé. Toutefois, suite à l’apparition de champignons, le hêtre rouge bicentenaire, planté aux abords directs de la bâtisse, a dû être abattu en 2018 : « C’est un professionnel qui nous a recommandé de l’abattre. Le risque était qu’il tombe soit sur la rue de Paris, soit sur la maison. »

Saint-Brice regorge de ces vieilles propriétés qui, érigées à 15 km de la capitale, constituaient aux heures fastes de l’aristocratie des résidences secondaires idéales. Et encore, quelques-unes ont disparu. Aujourd’hui, ces demeures héritées du passé et entretenues à l’huile de coude par les familles qui s’y succèdent forment un patrimoine architectural, paysager et culturel qui contribue à l’identité de notre ville.

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